Vous connaissez la Taxe Tobin ? Cette taxe - inventée en 1972 par un prix Nobel d'économie, James Tobin - est basée sur une idée simple : taxer de façon infinitésimale l'ensemble des transactions monétaires internationales pour limiter les effets néfastes de la spéculation (*).

Il faut reconnaitre que l'idée est assez belle, car elle permet non seulement de limiter les dérives de la spéculation, mais elle oblige le monde de l'économie financiarisée - qui se développe aujourd'hui au détriment de l'économie réelle - à participer de façon plus active au financement des nations au travers de cet impôt.
Etonnamment, ce pauvre Tobin - plutôt défenseur du libre-échange et de l'économie de marché - a vu son projet totalement dévoyé par les mouvements alter-mondialistes comme Attac, qui ont fait de la supposée « Taxe Tobin » une arme fatale contre le capitalisme, un outil de redistribution des richesses vers les pays les plus pauvres, ce qui a obligé notre économiste à prendre ses distances avec sa propre idée...

Le paradoxe, c'est qu'aujourd'hui la Taxe Tobin est de nouveau à la mode, et ce n'est pas le fait des gauchistes, loin de là... C'est même Sarkozy qui, suite à la crise financière de 2008 essaie de relancer le débat sur le sujet à chaque G20 qu'il préside ! Trotsky doit se retourner dans sa tombe ;-)
Alors Sarkozy à nouveau coupable de démagogie? Sur ce coup là, je n'en suis pas si sur...

Depuis la crise de 2008, toutes les tentatives pour aboutir à un véritable accord de régulation sur les marchés ou sur les taux de change se heurtent aux lobbys financiers et à la résistance des pays émergents. Il est vrai que dans les deux cas, la priorité est la même : pouvoir se développer rapidement et sans subir de contraintes. Les financiers de Wall Street et les dirigeants des pays en développement partageant les mêmes objectifs, c'est un peu le mariage de la carpe et du lapin ! En tout cas, ça fonctionne plutôt bien pour bloquer toute réforme de la finance mondiale visant à mettre en place quelques garde-fous ...
Dernier exemple en date, Gary Cohn, un dirigeant de Goldman Sachs - l'une des firmes qui a le mieux profité de la crise - lance une alerte au forum de Davos sur le danger qu'il y aurait à mettre en place trop de règles, trop de contraintes. En substance, une régulation trop contraignante pousserait les établissements financiers à la transgression pour pouvoir continuer leur développement. Bref, il ne faut surtout pas mettre de feux rouges aux passages pour piétons, afin de ne pas irriter les automobilistes qui seraient sinon tentés d'appuyer sur le champignon pour écraser le plus de monde possible.
Pas facile de réguler le capitalisme avec ce genre de Docteur Folamour (2) aux commandes des plus grandes firmes mondiales, et tout semble réuni pour qu'une nouvelle crise succède encore et toujours à la précédente !

Dans ce contexte peu encourageant, toute idée permettant de réduire l'influence de la spéculation sur l'économie réelle est bonne à prendre, et la Taxe Tobin, malgré ses considérables difficultés de mise en œuvre et son petit parfum d'utopie fait clairement partie de ces idées....
Il est donc naturel qu'un chef d'état comme Nicolas Sarkozy, confronté à des déficits abyssaux, un chômage massif, et une croissance molle se tourne du côté de la finance - dont les résultats n'ont jamais été aussi bons - pour chercher par tous les moyens à renflouer les caisses de la Nation sans avoir à taxer le contribuable, mesure impopulaire si il en est.
La taxe Tobin, qui fut pendant longtemps la principale proposition de ceux qui veulent détruire le capitalisme, pourrait-elle - paradoxe ultime - être l'outil qui permettrait de sauver le capitalisme en le protégeant contre les dérives de l'économie financière?
Avec un déficit budgétaire cumulé des Etats qui représente environ 5% du PIB mondial, soit environ 3000 milliards de dollars, et une taxe Tobin s'appliquant à tous les échanges qui pourrait rapporter entre 300 et 700 Milliards de dollars, l'idée ne parait pas si folle. Indépendamment du coup d'arrêt porté à la spéculation effrénée, l'impact sur la santé financière des nations serait loin d'être négligeable...

Soyons honnêtes, la taxe Tobin telle que nous, Français, la proposons au G20 est très très loin de cet objectif ambitieux :
* Soucieux de réalisme, et afin de limiter les énormes difficultés d'application, le projet porté par Nicolas Sarkozy et soutenu par Christine Lagarde ne porterait que sur les seules transactions monétaires - et non sur la masse des échanges - ce qui implique un taux très bas, limitera considérablement son impact sur la spéculation, et ne rapportera au mieux qu'une centaine de Milliards de dollars.
* Ensuite, le produit de cette taxe, déjà réduit à une peau de chagrin, n'aura pour seule fonction que l'aide au développement, au travers du FMI ou de la Banque Mondiale. L'aide au développement, c'est un peu théorique non ? Que vont faire les chefs d'Etats des pays pauvres de cet argent ? Qui va en bénéficier ? A quoi va-t-il vraiment servir ? Sur ce coup là, je trouve la bonne conscience occidentale particulièrement décalée, alors que les déficits budgétaires de nos Etats constituent un problème considérable qu'il est prioritaire de régler. Il sera tout de même plus facile d'être généreux lorsqu'on aura retrouvé notre aisance de pays riches.
Donc fin de l'utopie, et retour à la démagogie et aux bons sentiments.
Ce n'est pas encore pour demain qu'une solution va être trouvée pour rééquilibrer économie financière et économie réelle, seule façon à mon sens de renouer avec une croissance porteuse de richesse et d'emplois !

J'ai bien peur que la Taxe Tobin, à l'image des produits lauréats au concours Lépine, ne fasse déjà partie de ces inventions brillantes qui feront la célébrité de leur auteur, mais resteront à jamais au fond d'un tiroir de quelque pavillon de banlieue...
(1) Lire l'article de Wikipédia sur la taxe Tobin, tout y est !
Pour résumer, spéculer sur les monnaies implique de faire un grand nombre d'achats et de ventes pour dégager des profits sur de minuscules écarts de changes. Une taxe très faible qui viendrait imposer chaque mouvement aurait pour effet (théorique) de limiter la spéculation à court terme en la rendant moins profitable, tout en apportant une source de financement complémentaire aux Etats.
(2) Docteur Folamour, film extraordinaire et visionnaire de Stanley Kubrick, 1964
Crédit photos:
James Tobin (c) Vox Thunae
Attac (c) Attac
Sarkozy (c) Reuters
G20 (c) Reuters
Montre (c) Concours Lépine

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2Feb2011